La refondation de l’école – Plaidoyer pour une oubliée : la formation continue des personnels
Christian Alin, Professeur d’université émérite en Sciences de l’éducation – ESPé – Lyon1 CRIS EA 647
Le projet de refondation de l’école de Vincent Peillon ; un projet de loi attendu et une bouffée d’oxygène ! Mais…
Dans son intervention au Parlement du 10 Mars, Le ministre a rappelé « les trois fondements » de sa réforme : la priorité au primaire, la formation des enseignants et la réforme des rythmes scolaires. Vincent Peillon estime que « les moyens supplémentaires pour l’école étaient nécessaires car ils vont permettre notamment d’augmenter les taux d’encadrement, de recruter des remplaçants, de scolariser les enfants de moins de trois ans et de remettre une formation des enseignants ».
« Il ne faut pas bouder notre plaisir », souligne Ph. Meirieu[1], ce projet de loi « constitue une vraie bouffée d’oxygène pour un système au bord de l’asphyxie. Voilà qu’on ose reparler de « pédagogie », qu’on inscrit « le contenu des enseignements et la progressivité des apprentissages au cœur de l’école », qu’on propose une définition du « socle » qui inclut une dimension culturelle et dont on peut espérer qu’elle nous permettra de sortir de la vision étriquée et étroitement techniciste qui prévalait jusque là. Voilà qu’on instaure un « parcours d’éducation artistique et culturelle tout au long de la scolarité ». Voilà qu’on reconnaît la spécificité de l’école maternelle en soulignant qu’elle n’est pas une simple préparation technique au Cours préparatoire, mais ce que j’appelle une véritable « école première »1. Voilà qu’on affiche la priorité au primaire, en s’engageant à rééquilibrer les moyens en faveur de ceux qui en ont le plus besoin… et voilà même qu’on évoque la possibilité de disposer de « plus de maîtres que de classes » pour pouvoir « travailler autrement ». Voilà qu’on s’achemine vers un rééquilibrage de la semaine scolaire, dramatiquement réduite à quatre jours de classe. Voilà, enfin, qu’on remet en chantier la formation initiale des enseignants et qu’on annonce la création de 60 000 emplois dans l’enseignement sur la durée de la législature ! Autant de raisons de se réjouir… »
Pour autant, Philippe Meirieu souligne à juste titre qu’ « à regarder les choses de plus près et tout en reconnaissant l’importance de ces avancées, la démarche de « refondation / concertation / loi d’orientation » ne répond pas encore à l’immense espérance qu’elle a suscitée. Globalement, le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui n’est pas à la hauteur des besoins éducatifs de notre société… » Il rappelle que la formation continue est « le cœur du réacteur » de l’évolution de l’école et qu’aujourd’hui le gouvernement actuel, « ne prend aucune disposition particulière pour la formation continue ! C’est un oubli préoccupant : les ESPE[2] formeront 30 000 enseignants par an tout au plus, alors que c’est près d’un million d’enseignants et de personnels en activité qui doivent avoir droit à une formation continue de qualité ! D’autant plus qu’on sait aujourd’hui la plus-value indiscutable de cette formation dès lors qu’elle s’effectue en lien avec les problèmes professionnels rencontrés au cours de la carrière. Et l’on peut s’étonner que l’État qui a mis en place le « droit individuel à la formation » ainsi que le « crédit individuel de formation » – dispositifs certes insuffisants mais qui ont le mérite d’exister – ne les mette pas en œuvre de manière plus systématique et volontariste pour ses propres fonctionnaires, et ne les utilise pas pour des actions de formation proprement pédagogiques… Notons encore, les conclusions du Conseil sur le perfectionnement professionnel des enseignants et des chefs d’établissement à propos de la formation continue « aucune formation initiale au métier d’enseignant, aussi excellente soit-elle, ne peut doter les enseignants de toutes les compétences dont ils auront besoin au cours de leur carrière. »[3]
La formation continue une arlésienne et/ou une délaissée permanente.
On en parle, on l’appelle avec de bonnes intentions. Le projet de loi, une fois de plus l’inscrit dans ses énoncés (article L 721.2) mais force est de constater que ses missions et ses moyens restent dans un grand flou. Selon l’OCDE, la formation continue est définie comme «l’ensemble des activités qui développent les compétences, les connaissances et l’expertise d’un individu, sous forme de cours, conférences, ateliers, séminaires, programmes de qualification, observation de visite d’écoles, participation à des réseaux d’échange d’expériences, échanges entre pairs, recherche individuelle ou collaborative…». La formation professionnelle continue est considérée comme une obligation professionnelle pour les enseignants dans plus de 20 pays et régions d’Europe. Toutefois, le concept d’obligation professionnelle n’implique pas nécessairement que les enseignants soient explicitement tenus d’y participer. En France, aux Pays-Bas, en Suède, en Islande et en Norvège, par exemple, la formation professionnelle continue constitue une obligation professionnelle mais, dans la pratique, la participation est facultative. [4] Au final, si la formation professionnelle continue est un des axes d’action retenus par la Commission Européenne dans l’agenda de Lisbonne, en revanche, un état des lieux dans les pays européens sur les vingt dernières années fait apparaître une réduction des efforts dans cette direction[5].
Déjà en 1981 De Peretti[6] écrivait « l’effort total accompli représenterait pour les dépenses constatées en 1980, 1,50% de la masse salariale (chiffre sans doute optimiste), soit un peu plus que ce qui est exigé actuellement en raison de la loi de juillet 1971 (dont on sait, toutefois, qu’elle prévoyait la croissance de ce pourcentage à 2%), mais par ailleurs beaucoup moins que le pourcentage affecté actuellement par de grandes organisations à une action du même ordre (6,18% à EDF – 6, 10% Chez IBM – 4, 36% à la Banque de France – 3, 5% à Elf-Aquitaine et 2% Chez Renaud. Même si les crédits de ces organismes n’ont pas à prendre en compte les frais de remplacements des personnels dont le poids est important pour l’Education nationale (surtout pour le 1er degré), force est de constater qu’en 2013 le budget alloué pour la formation continue est toujours n’a guère progresser alors que celui de l’EDF, par exemple est passé à 7%. Ainsi, Christian Page, responsable du pôle formation professionnelle d’EDF déclare : « Le renouvellement des générations induit de nouveaux besoins : « En 2007, nous y avons consacré 6,4 % de notre masse salariale, ce qui correspond à un budget de 275 millions d’euros. Pour la France, nos 100 000 salariés suivent en moyenne quarante heures de formation chaque année. En 2007, 85 % d’entre eux ont effectué au moins un stage. 72% des programmes concernent directement les formations métiers. Les nouveaux enjeux auxquels nous sommes confrontés nous ont incité à engager une réflexion sur la manière de faire évoluer les actions de formation proposées à nos collaborateurs. » En 2011, 76% des salariés ont suivi une formation, ce qui représente 7% de la masse salariale. Un chiffre bien au-delà de l’obligation légale et des efforts consentis par les autres entreprises. Au total : plusieurs millions d’heures de formation dispensées chaque année, que ce soit dans le cadre du développement des compétences, de l’évolution de l’emploi ou de l’adaptation au poste de travail.
Enseigner est certes un métier qui s’apprend et qui doit bénéficier d’une formation initiale universitaire et professionnelle de haut niveau mais c’est aussi un métier qui doit continuer à s’apprendre. « Les exigences imposées aux enseignants évoluent rapidement, rendant ainsi nécessaire l’élaboration de nouvelles approches. Pour être des enseignants pleinement efficaces, capables de s’adapter aux besoins en constante évolution des apprenants, dans un monde qui connaît de rapides mutations sociales, culturelles, économiques et technologiques, les enseignants eux-mêmes doivent se pencher sur leurs propres exigences en matière d’éducation et de formation dans le cadre de leur environnement scolaire particulier, et assumer davantage la responsabilité de leur propre formation tout au long de la vie, afin d’actualiser et de développer leurs connaissances et compétences. »[7]
Savary, De Peretti, revenez vite c’est urgent !
Malgré vos formidables et pertinentes recommandations et 30 ans après, la formation continue des enseignants, des cadres administratifs et pédagogiques, des formateurs et conseillers pédagogiques est toujours, en état de coma profond. Seule période de notre longue histoire de l’enseignement pendant laquelle elle a pu ouvrir les yeux, suite au rapport demandé en 1981 par le ministre Alain Savary à la satisfaction du monde de l’éducation et de la formation, le temps oublié et valeureux et plein d’innovation des MAFPEN.
Relisez le rapport d’André De Peretti et vous constaterez en premier lieu que ses propositions en matière de formation initiale anticipent une formation universitaire et professionnelle à bac +5, animée par un établissement universitaire professionnalisant. Toutes les problématiques de l’éducation et de la formation et au cœur desquelles est défendue, prônée une formation en alternance intégrative portée par la recherche en Education et en Sciences de l’éducation et en lien étroit avec des professionnels et des formateurs de terrain, y sont déjà présentes. Autrement dit, dés 1982 ce rapport proposait déjà des ESPE. En revanche, il écrit p18[8] : « La formation initiale dans tous les domaines – et quelles que soient les transformations réalisées- ne peut suffire si elle n’est pas prolongée avec vigueur par la formation continue. »
Rappelons les principales propositions du rapport[9]
1- Il importe d’organiser avec rigueur des actions de formation continue qui puissent toucher chaque année la plus grande partie des effectifs par des actions directes et indirectes méthodiquement préparées et cohérentes.
2- Il convient au niveau financier, de porter dans un temps bref les crédits de formation continue à un montant atteignant au moins 3% de la masse salariale en prévoyant une montée ultérieur à 5%.
3- Ces perspectives appellent comme condition
- L’annonce solennelle du droit à 2 semaines/année de formation continue sur le temps de service.
- La prise de disposition en faveur des personnels qui n’auraient pas pu bénéficier du droit légitime à une formation continue correspondant à leurs fonctions au moment de leur prise de service.
- Soutenir et solliciter toutes les actions de formation continue hors temps de service comme celles qu’organisent les universités ou les mouvements associatifs[10].
- En vue d’assurer l’organisation technique d’actions de formation solidement préparée, il est indispensable de mettre un réseau qui relie étroitement tous les moyens en chercheurs et en formateurs, ainsi que toutes les logistiques qui existent aux plans local et régional (universités, associations de spécialistes, mouvements pédagogiques, CRDP et CDDP, corps d’inspection, Ecoles normales, Centre de formation de PEGC, équipe académiques de la vies scolaire, CASFA, CAFOC, ainsi que des établissements relevant d’autres autorités, etc..
- Enfin, le rapport précise qu’une telle ambition doit s’accompagner de moyens propres de remplacement. Il en souligne les difficultés quant à la charge économique mais propose aussi des solutions pouvant diminuer le coût supplémentaire. (emploi du temps souple, formation sur établissement, formation de secteur et/ou de territoire, Universités d’été)[11]
Formidable vision que ce rapport, tout est dit ! Depuis 1982, tout est déjà dit et la problématique proposée reste d’une formidable actualité et pertinence. Mais encore, il poursuit : « L’organisation d’un tel réseau s’inscrit dans la politique de régionalisation du gouvernement. Elle suppose, en vue d’assurer la régulation scientifique et méthodologique des actions, un centre régional suffisamment étoffé ayant pour directeur ou président un professeur des universités. Cette proposition donnera feu les MAFPEN, Mission Académique de Formation de Personnels de Education Nationale. Autrement dit, les missions dévolues en 2013 au ESPE ne font que reprendre les problématiques d’un rapport qui date, je le rappelle, de 1982.
Alors, comment comprendre un tel état de fait ? Comment se fait-il que 30 ans après les discours des chercheurs, des experts et des enseignants lambda s’accordent sur la pertinence des problématiques évoquées par ce rapport et que rien n’est bougé. Une telle situation, au-delà même des politiqués économiques malthusiennes (à droite comme à gauche) qui ont freiné et drastiquement réduit la formation continue des personnels d l’éducation nationale est-elle condamnée qu’à n’être que la courroie de transmission des prescriptions programmatiques de la hiérarchie[12] ? Est-elle condamnée à continuer en ne jamais pendre en compte les besoins et les difficultés individuelles et/ou collectives, locales et/ou génériques, voire de souffrance du travail didactique et pédagogique des personnels au quotidien ? Urgence aussi à prendre en compte les nouveaux enjeux sociétaux qui se sont révélés depuis. (Inter-culturalité, citoyenneté, laïcité, problématique de genre, inclusion des enfants à besoins particuliers, handicap, violence, éducation à la santé, éducation au développement durable, problématique écologique et bien sur l’échec dit « scolaire ».
Alors, permettez moi de plaider…
– Pour la reconnaissance professionnelle du métier d’enseignant
- Considérer le métier d’enseignant comme un métier de professionnel exigeant certes une formation initiale mais aussi une formation continue universitaire et professionnelle de haut niveau.
- Créer des conditions de travail temporelles, matérielles et financières permettant aux enseignants d’exercer pleinement leur métier à la fois, comme acteur responsable et comme membre actif d’une équipe pédagogique d’un projet d’établissement.
- Faire des propositions en matière de carrière professionnelle qui tiennent compte à la fois des aspirations individuelles, des nécessités politiques d’un service public et de leur effort pour se former et innover par des VAE et/ou des formations diplômantes.
– Pour une formation universitaire professionnelle
- Créer les conditions politiques, organisationnelles et pédagogiques d’une formation initiale et continue d’adulte, en alternance, universitaire, professionnelle. Tel est l’enjeu que des futurs ESPE doivent réussir.
– Pour une articulation Recherche-Formation- Innovation
- Promouvoir, à côté des recherches classiques en éducation (pédagogie, didactique des disciplines, sociologie, histoire) des recherches sur l’intervention en éducation et notamment sur la didactique professionnelle et la culture professionnelle des enseignants et des formateurs grâce et par la création des futurs ESPE qui puissent reprendre et faire exister l’esprit du rapport De Peretti
- Promouvoir des recherches anthropologiques et sociétales sur des thématiques telles que (le genre, la mixité sociale, le multiculturalisme, la diversité linguistique, le langage du corps, les enjeux de communication etc.)
- Promouvoir des recherches locales régionales, nationales, européennes, mondiales qui lient l’économique, l’écologie et le sociétal.
- Promouvoir des innovations pédagogiques[13] et permettre à des équipes volontaires d’être suivies et accompagnées par la recherche
– Pour une démocratisation et une autonomisation de la formation continue
- Affirmer la primauté du service public sur le service privé en termes de finalités d’objectifs et de budget.
- Faire jouer pleinement la décentralisation (collectivités régionales, locales) et la démocratie participative des citoyens (sous différentes formes : association, consultations, réunions) pour développer les relations entre l’école et l’environnement périscolaire, sans que pour autant l’Etat ne se défausse totalement de ses obligations de cadrage national, notamment en matière de garantie du service public, en matière de gestion des inégalités territoriales et en matière budgétaire.
- Favoriser au quotidien l’autonomie des établissements et la dynamique d’une démocratie participative et citoyenne de tous leurs acteurs : chefs d’établissement personnels administratifs, enseignants, élèves, ATOSS, documentalistes, conseillers d’orientation, infirmière, mais aussi, parents, associations, Education populaire, élus politiques.
- Soutenir les initiatives d’échanges et de mutualisation des savoirs[14] : université populaire, réseaux d’échanges de savoirs ; lieux populaires d’éducation et de culture ouverts.
Mais permettez-moi aussi de craindre …
Permettez-moi de craindre les jeux de territoires et de défenses corporatistes qui se profilent dans cette période critique de la refondation de l’école et de la formation des enseignants au détriment des défis qui se posent à l’éducation et à la formation du 21e siècle
Les différents discours de défense des acquis face à la disparition des IUFM et à la création des ESPE et de leur mission à venir qu’ils proviennent de la CPU, de la CD IUFM, de la plupart des associations de spécialistes ou de syndicats, tous s’accordent sur
– l’affirmation que le métier d’enseignant est un métier qui s’apprend non seulement par une formation initiale mais aussi par une vraie formation continue
– la nécessité d’une formation universitaire et professionnelle de niveau Master 2 et de haut niveau sachant articuler une excellence des savoirs académiques, une formation professionnelle en alternance avec un dispositif d’accompagnement de professionnels et de conseillers formés à cette compétence
– La nécessite de la recherche en éducation et de la formation par la recherche des étudiants afin de les sensibiliser et de les former à l’innovation et aux expérimentations pédagogiques.
Pour autant en dehors des problèmes techniques mais très importants (place des concours, structures des maquettes) et actuellement en discussion, de nombreuses divergences et/ou obstacles agitent les débats. Chacun cherche à servir et à défendre en priorité son pré-carré.
Du côté de l’université et de ses enseignants
– Les disciplines académiques ont peur que leur importance, leur influence et leur place dans une maquette de Master qui intègre du professionnel diminuent. Il faut savoir que peu de disciplines intègrent la formation professionnelle dans leur concours. Certaines comme l’histoire et la géographie n’ont pas d’épreuves professionnelles dans leurs concours actuels de recrutement.
– Les enseignant universitaires des disciplines académiques et leur UFR considèrent comme une aubaine la possibilité de recruter des étudiants Masters se destinant au métier de l’enseignement pour contrebalancer la diminution de leurs effectifs. En revanche ils ne sont pas prêts de changer en profondeur leurs cours et leur modalité d’intervention, tout au plus à concéder une UE de préparation aux concours.
– Les présidents d’université vont-ils laisser les missions des futurs ESPE être dépecées par les UFR et par les disciplines ou bien vont-ils au contraire tenter de faire en sorte que les personnels des ex-écoles internes (IUFM) puissent jouer leur rôle de coordination et de cohérence. Vont-ils mieux encore tenter de créer une véritable faculté d’Education, de formation et de recherche, rassemblant tous les potentiels et toutes les compétences de l’université dans une structure unique et nouvelle ?
Du côté des futurs ex-IUFM et de ses enseignants
Sans conteste les IUFM n’ont pas réussi cette ambition de culture commune et de partage qui avait été déposée au berceau de leur création. Il faut se rendre à l’évidence, sauf dans de très rares endroits et dans de très rares moments entre les anciens, les formateurs de feu l’école normale, les nouveaux formateurs permanents ou associés et les universitaires la mayonnaise d’une formation universitaire et professionnelle, comme l’incitait le sigle IUFM lui-même, n’a pas pris. Pire la crise actuelle du changement à la hussarde qu’ils vivent a accentué les divisons et la défiance entre les trois communautés.
Les PEIMF redoutent la mise totale de leur intervention sous l’autorité statutaire du seul rectorat et l’abandon de l’autorité et la liberté pédagogique que leur procurait les IUFM.
L’intégration universitaire et le niveau Master pour les futurs professeurs requis met en particulier les formateurs permanents dans une mise en doute profonde de leur expertise, leur compétence, leur reconnaissance professionnelle ; c’est une véritable crise d’identité avec l’inquiétude et une méfiance encore plus grande vis-à-vis des universitaires et de leur statut.
Enfin les universitaires des IUFM restent toujours en quête, parfois obsédante, d’une place parmi les autres universitaires qui, il faut bien le reconnaître, les considèrent comme des universitaires de deuxième division pour employer une métaphore sportive ; ce qui a pour conséquence une très faible implication de leur part dans l’enseignement et la formation.
Du côté de l’inspection
Dans un pays jacobin comme la France, la volonté de garder, à tout prix, le pouvoir de l’emprise disciplinaire et de la pression hiérarchique sur la formation des enseignants n’est jamais loin. Face à la réalité et à la complexité du métier, cette posture classique et traditionnelle risque de mettre en péril, non seulement toute collaboration interdisciplinaire mais aussi la marge de liberté, d’auto-formation qu’avaient, en son temps, organiser les MAFPEN. Redonner à la seule inspection le monopole de la formation des enseignants et des personnels serait à notre avis une erreur et une faute face au principe de démocratisation, de délocalisation et de subsidiarité que le rapport De Peretti avait posé comme décisif pour entrainer les enseignants et les personnels à se former.
Du côté des syndicats
Selon leur fondement, soit académique, soit inter-catégoriel, soit statutaire, leur positon varie :
– du refus pur et simple de la mastérisation, avec le maintien en l’état des structures, des établissements et des dispositifs actuels (politique d’aménagement du territoire) à son acceptation avec l’exigence d’une professionnalisation et d’une formation par alternance de qualité
– l’obligation de garanties solides pour le financement et le suivi des études des étudiants.
En revanche, on peut être pessimiste quant à leur capacité à accompagner, pour certains, véritablement les enjeux de la refondation de l’école. Certains d’entre eux, face aux incertitudes et aux prises de distance de leur base et que par ailleurs on peut comprendre, ont déployé des arguments discutables. De mon point de vue ils fragilisent temporairement des réformes, pourtant attendues depuis longtemps, et pour lesquelles ils avaient apporté leur aval. Ce qui se passe actuellement pour les rythmes scolaires en atteste.
Du côté des principes en cours dans les discours et les projets
a. Sortir la formation des maîtres de son cadre traditionnel strictement attaché à une discipline pour définir une formation à des compétences communes et/ou spécifiques qui forment à un métier et prépare à une mission. L’une d’entre elles est la maîtrise des savoirs disciplinaires, les autres englobent la totalité des missions de l’enseignant : agir de façon éthique et responsable ; gérer la classe ; prendre en compte la diversité des élèves, travailler en équipe et coopérer avec les partenaires etc.
Sauf que dans la réalité une telle formation ne peut vraiment se mettre en place que si on reconnaît à ce métier et à cette mission une qualification professionnelle de haut niveau accompagnée de l’autonomie, la confiance, la marge d’autorisation et d’action que doit posséder tout cadre A[15]. En outre, Le mémoire professionnel, pour être un véritable mémoire universitaire de niveau Master devra se réaliser dans des conditions de séminaire articulé à la recherche avec des objets d’études académiques ou professionnels qui relèvent bien des problématiques de l’intervention en éducation et/ou en formation. Force est de constater que beaucoup d’enseignant-chercheurs des universités, voire mêmes parfois officiant en IUFM n’y sont pas prêts.
Étaler la formation des maîtres aussi bien en amont du concours (par une formation universitaire préprofessionnelle) qu’en aval par une formation continue prolongeant la formation initiale et dont l’animation devrait se répartir entre l’IUFM (institutionnellement intégré ou non à l’université) et les instances académiques du Rectorat.
Sauf que dans la réalité, l’université devra accomplir une véritable révolution copernicienne quant à ses critères de reconnaissance professionnelle. Pour l’instant ceux-ci sont réduits à la seule prise en compté des travaux de recherche. Les activités administratives, pédagogiques sont minorées pour ne pas dire ignorées par le CNU et/ou les commissions de spécialistes qui recrutent paradoxalement elle embauche des enseignants-chercheurs.
Sauf que dans la réalité, mis à part quelques domaines comme celui des STAPS, des IUT, de la Médecine, les écoles d’ingénieurs, l’université n’est pas en mesure aujourd’hui d’assumer ce cahier des charges Leur carrière étant fortement arrimée à leurs travaux de laboratoire et à leurs publications de recherche, les universitaires ont souvent délaissé leur propre formation professionnelle quant à leurs activités d’enseignement et de formation. Il suffit de noter la grande impuissance des services de formation universitaire à promouvoir une pédagogie à l’université. Les ESPE auront de ce point de vue un difficile défi d’harmonisation.
- c. Organiser une formation théorie/pratique en alternance qui revendique le stage pratique comme le cœur du processus de professionnalisation et qui nécessite des formateurs reconnus par l’université (formation de formateurs) et les corps d’inspections (validation de leur expérience de terrain).
Sauf que dans la réalité, comprendre l’alternance théorie-pratique comme étant la juxtaposition de deux espace-temps : la théorie à l’université et aux universitaires, le pratique et le professionnel aux gens dits de terrain, aux instances académiques, c’est aller à l’encontre de tout ce que l’expérience et la richesse de l’alternance nous a appris, à savoir le théorie et le pratique doivent se trouver intégré dans chacun des domaines de l’alternance : et l’université et le terrain. C’est une position qui se trouve à l’inverse de tous les systèmes éducatifs européens
Sauf que dans la réalité, quand les universitaires s’intéressent à l’enseignement et à la formation, il adoptent le plus souvent une position top down dont la règle est la proposition d’une application pure et simple de leurs travaux sur le terrain, sous prétexte qu’ils sont scientifiques, porteur d’une universalité dépassant les contingences du terrain.
Sauf que dans la réalité, penser que la simple remise institutionnelle du théorique à l’université sera suffisante, c’est oublier la vision applicationniste de la plupart des universitaires. Or les expériences internationales et positives en matière d’enseignement supérieur posent que la fonction des universitaire doit être autant d’apporter du savoir que de le partager en privilégiant le tutorat et non de se réduire à l’apport magistral décontextualisé, tel qu’il est le plus souvent pratiqué en France, notamment dans le premier cycle actuel ou dans le L du LMD.
Sauf que dans la réalité, en pensant la simple remise de la responsabilité du stage au terrain, c’est certes reconnaître que les stages sont effectivement au cœur du processus de formation, mais c’est avoir l’illusion de croire au vieux fantasme de la formation sur le tas, de penser que le compagnonnage et le terrain sont les seuls garants d’une professionnalité. C’est oublier que les stages doivent, eux aussi, non seulement articuler et intégrer le théorique et le pratique. Là encore un grand défi d’harmonisation, de complémentarité, de partage de territoire et de compétence ne va pas manquer de se poser entre l’employeur et l’ESPE.
Sauf que dans la réalité, c’est oublier un important problème : la formation et l’accompagnement de ces intervenants pour en faire des professionnels en ce domaine d’intervention. Être un enseignant expert ne veut pas dire que l’on sera automatiquement un formateur efficace. Être un sportif de haut-niveau ne veut pas dire que l’on sera obligatoirement un bon entraîneur, métaphore sportive oblige ! La formation continue devra poser nécessairement la formation des formateurs, les conditions de leur formation, l’élévation de leur expertise et de leur efficacité mais aussi la question de leur reconnaissance statutaire et/ou professionnelle. Et le défi est de taille dans la période économique et de crise budgétaire qui est la nôtre.
Sauf que dans la réalité, c’est oublier que la plongée sur le terrain doit s’accompagner d’un temps suffisant de préparation didactique et professionnelle, d’accompagnement et de retour réflexif effectué au sein de la structure de formation initiale, sous peine d’exposer non seulement les enseignants-stagiaires à des difficultés d’intervention et des souffrances identitaires importantes mais aussi les élèves à des interventions inconsistantes.
- d. Appuyer la formation des maîtres « en s’appuyant sur les résultats de la recherche dans les sciences et les disciplines comme de ce qu’on appelle la « recherche en éducation » », c’est-à-dire la recherche dans les sciences et les disciplines qui concourent à l’efficacité des pratiques pédagogiques ».
Sauf que dans la réalité, en France, les recherches en éducation sont considérées comme « molles » et se situent très bas dans la hiérarchie des disciplines dites scientifiques. Le crédit de scientificité voire d’efficacité leur est en règle générale dénié. Pourtant, elles démontrent tant en France qu’à l’international la vivacité de leurs travaux notamment dans les domaines de la formation et de l’intervention. Elles montrent que leur collaboration étroite avec les acteurs de terrain permet d’obtenir une véritable légitimité et une véritable efficacité dans la construction de connaissances scientifiques en ce domaine.
Sauf que dans la réalité, on ne peut que s’inquiéter de la place statutaire et budgétaire que vont prendre ces recherches au sein des PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) sous la pression de l’évaluation de Shanghai et de la compétition internationale. Les recherches et les postes en éducation n’ont pas jusqu’à nos jours bénéficier d’une bonne presse et risquent de ne bénéficier de peu de moyens pour peser dans les débats et les choix budgétaires. Les ESPE devront renverser cette posture plus souvent scientiste que scientifique.
Le pessimisme de la connaissance n’empêche pas l’optimisme de la volonté
L’auteur de ces lignes a consacré sa vie professionnelle aux liens qui lient la recherche, la formation et l’innovation[16] Malgré tous les nuages qui s’accumulent sur la refondation de l’école et en particulier sur la formation initiale et continue des enseignants, il veut croire que l’intérêt et l’ambition de la réussite scolaire de nos enfants, de nos élèves, de nos étudiants, prévaudront sur les luttes de territoires des uns et des autres et que la formation continue pourra apporter à tous les personnels et intervenants l’expertise et le bonheur d’agir qui font la vie de tout métier. En cette fin d’article, je ferai donc mienne la célèbre formule d’Antonio Gramsci, tout en demandant à tous, particulièrement dans cette période de crise politique, économique, écologique et quelle que soit sa place et sa fonction de participer à une éducation au courage[17].
[1] Philippe Meirieu – Va-t-on vraiment refonder l’École française en 2013 ? – Janvier 2013
[2] ESPE : Ecole Supérieures du Professorat et de l’Education
[3] Rapport Mission Fourgous http://www.missionfourgous-tice.fr/missionfourgous2/IMG/pdf/Rapport_Mission_Fourgous_2_V2_-_202-209.pdf
[4] Eurydice, Eurostat – Chiffres clés de l’éducation en Europe 2009, p160
http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/key_data_series/105FR.pdf – consulté le 9 mars 2013
[5] Arnaud Chéron , professeur des Universités en Sciences Economiques (Le Mans) et directeur de recherche sur l’évaluation des politiques de l’emploi au sein du pôle économie de l’EDHEC. L’évolution de la formation
professionnelle continue : une perspective international, Janvier 2011
http://docs.edhecrisk.com/rsc/110111/EDHEC_Position_Paper_Evolution_de_la_formation_professionnelle.pdf – consulté le 9 mars 2013
[6] André De Peretti (1982), La formation des personnels de l’Education nationale, Documentation française.
[7] OCDE (2011). Buildling a High-Quality Teaching Profession Lessons from around the world – http://www2.ed.gov/about/inits/ed/intrnational/background.pdf – consulté le 13/03/2013
[8] André De Peretti (1982), La formation des personnels de l’Education nationale, Documentation française.
[9] André De Peretti (1982), idem p18-21
[10] Le rappel dans les projets de V. Peillon de l’action des mouvements associatifs et en particulier de l’Education populaire et de ce point de vue la réparation de la grande erreur qui a consisté à se priver de leur expertise tant dans la formation initiale que dans la formation continue. Dans le master de formation initiale MESFC que nous avons créé à Lyon1 depuis 2009, nous n’avons qu’à nous réjouir de la collaboration que nous avons rétablie.
[11] A l’heure d’aujourd’hui il intégrerait, assurément, les FOAD, à savoir les formations à distances, l’apport des TIC et du l’e-learning avec une complémentarité du présentiel et du non présentiel.
[12] En ce domaine et pour exemple, les procès d’intention et la volonté ministre d’imposer des conceptions pédagogiques et techniques aux enseignants sur l’enseignement de la lecture et de la grammaire ; cette posture ministérielle a eu pour conséquence de demander à la hiérarchie administrative et d’inviter les parents à rechercher et à dénoncer les « fautifs » qui ne semblent, pas selon, eux respecter les consignes du ministre. Heureusement le ministre a du reculer sur ces désirs de sanctions envers ceux qui ne mettaient pas assez vite le doigt sur la couture de leur pantalon. cf. l’affaire Pierre Frackowiak – cf. les désobéissants
[13] Le café pédagogique : L’innovation pédagogique c’est vous ! Ce n’est pas seulement ce qui est impulsé par le ministère, c’est aussi ce que les enseignants inventent et réalisent chaque jour dans leur classe, avec ou sans les TICE, avec ou sans partenaires extérieurs, en toute liberté. C’est ce message que nous voulons faire passer avec vous, lors du 6ème Forum des enseignants innovants et de l’innovation éducative, qui se tiendra à Nantes les 5 et 6 avril 2013 à l’appel du Café pédagogique et de nombreuses associations professionnelles d’enseignants.
[14] « Le plaisir d’aller à l’école » « Ouvrir l’école – Créer des réseaux » Ouvrage coordonné par Claire Héber-Suffrin, des anciens élèves et leur conjoint Préface de François Muller, initiateur, au Ministère de l’Education nationale, du réseau social de l’innovation, RESPIRE : Réseau d’échange de savoirs professionnels en innovation, recherche et expérimentation) Postface de Nicole Desgroppes, animatrice de l’association française des RERS (FORESCO), inspectrice ayant mis en place des échanges réciproques de savoirs entre enseignants Edition Chronique sociale
[15] En ce domaine et pour exemple, les procès d’intention et la volonté ministre d’imposer des conceptions pédagogiques et techniques aux enseignants sur l’enseignement de la lecture et de la grammaire ; cette posture ministérielle a eu pour conséquence de demander à la hiérarchie administrative et d’inviter les parents à rechercher et à dénoncer les « fautifs » qui ne semblent, pas selon, eux respecter les consignes du ministre. Heureusement le ministre a du reculer sur ces désirs de sanctions envers ceux qui ne mettaient pas assez vite le doigt sur la couture de leur pantalon. cf. l’affaire Pierre Frackowiak – cf. les désobéissants
[16] Dernier ouvrage Alin C., (2010), La Geste Formation – Gestes professionnels et Analyse des pratiques, L’Harmattan, Paris,
[17] Fleury C. (2011) La fin du courage, Fayard, Paris.
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