Lettre ouverte sur la maltraitance du genre humain : « Hors Normes »
Pourquoi je n’irais pas voir le film « Hors Normes », avant vous ?
Caroline ALIN Bénévole associatif
Parent d’un garçon autiste, il est évident que je dois voir le film « Hors Normes» qui évoque très justement les réalités du spectre autistique, la vie des TSA la vie de ceux qui les côtoient, les exclusions, le « gouffre retard international » de la France. En découvrant les extraits, des reportages sur la réalisation du film, il est évident que « Hors Normes » met en lumière les champs de tous les possibles. C’est pourquoi il faut le voir ! Tout comme le documentaire « Un pour Un » de Infrarouge sur France tv, de Thierry Bellanger et Philippe Elusse et disponible en replay. Absolument !
Pourquoi je n’irais pas voir « Hors Normes » avant vous ? — Parce que c’est à votre tour d’être les nouveaux grands spectateurs de cette réalité, pour rebooster le combat des familles et des associations et des si peu de professionnels formés !!! Parce que c’est à vous, citoyens, médias, journalistes de devenir les nouveaux grands acteurs publics pour stopper la non-considération de la dignité humaine et des différences !
Pourquoi je n’irais pas le voir avant vous ? — « Hors Normes » va alimenter ma colère en me rappelant les conséquences sur plus de 600 000 vies d’autistes, qui subissent des ruptures de prise en charge ou de rien avoir , des ruptures de dossiers administratifs, des ruptures ou non accès adaptés aux soins psycho éducatifs, soins biologiques adaptés, qui subissent des intégrations en hôpital psychiatrique ou hôpital tout court, avec les shootages aux médicaments qui ne servent à rien qui empirent leur vie, médicaments qui, au final, facilitent la vie des gestionnaires et employés non formés de centre médico sociaux et les empêchent de penser autrement leur métier d’accompagnement éducatif et/ou de prise en charge.
« Hors Norme » pourquoi pas avant vous ? — Parce que cela fait déjà 10 ans que je dompte ma colère, tout comme les familles de 600 000 autistes qui s’épuisent à accéder aux droits de leurs enfants et tenter de préserver le partenariat avec les si rares professionnels adaptés lorsqu’ils ont la chance de les rencontrer ou de les avoir prêt de chez eux.
Vous connaissez le problème des HEPAD désormais et les bienveillances et les bons environnements adaptés ? Ça vous mets en colère, n’est-ce pas ? Avec « Hors Normes », vous ne pouvez plus ignorer les galères de vies des Autistes, des malveillances et sur-handicap qu’on leur impose dans les institutions, à l’école (s’il y en a) et dans les administrations subventionnées par vos impôts. Vous ne pouvez plus et vous ne devez plus les ignorer !
Voir le film « Hors normes », oui bien évidemment, mais vous d’abord ! Parce que vous citoyens, medias, journalistes, vous êtes notre dernier recours pour envoyer des coups de pieds aux fesses et sans cesse, sans cesse, dans toutes les institutions et marché de la république, de l’école à l’administrateur, du praticien au commerçant, du directeur du centre de loisirs aux proviseurs, du ministère de l’éducation national, des finances, au ministère de la Santé. 40 ans que les autistes et leurs familles sont au combat, ils sont fatigués de ne pas se faire comprendre. Prenez le relais, indignez-vous ! Allez donner un coup de pied aux fesses à tous ceux qui vous ont permis de grandir, de vous éduquer et de vivre en société en France
Allez voir « Hors normes » et que les politiques ne me parlent plus du Xème plan autisme ou du nouveau plan des Aidants Familiaux ! Oui ça avance mais voilà nos enfants grandissent aussi vite que les autres, et les votre, et ils sont adultes aussi. De la théorie à la pratique il se passe deux générations au moins. Nous, on souhaiterait déjà voir dans notre quotidien et sur le terrain les bénéfices de la version du plan autisme n°1, ainsi que les très rares professionnels adaptés et très rares enseignants formés. Ils attendent eux aussi ! Pour ce plan 1, ça fait déjà 14 ans et pff… On n’a pas senti de différence, ou juste l’équivalent d’une cacahuète sur 10 ans. Le film « Hors Norme » prouve à quel point tout est possible même dans la lourdeur des vies rendues critiques par les manquements de tous !
Je n’irais pas le voir avant vous parce nous savons déjà que tout est possible — Je sais ce qui fonctionne et dysfonctionne depuis 8 ans, parce que Keziah subit depuis 8 ans ce désert d’inclusion comme tant d’autres. Il suffit juste d’accepter de lui donner le temps d’apprendre, de savoir faire et de se développer grâces aux bonnes pratiques psycho-éducatives dans un environnement adapté naturel. Il l’a si bien prouvé et le prouve encore chaque jour. Entre vous et moi c’est bien lui le plus fort, cohérent, honnête et drôle. Apprenons à recevoir aussi leurs leçons !
Je n’irais pas voir le film avant vous parce que nous savons déjà ce qu’il est bon de faire ou pas. — Je sais le combat et ce que les autistes ressentent, vivent et comment ils réfléchissent et leurs besoins. Pour Keziah, nous sommes allés chercher à l’étranger les bonnes pratiques. Nous avons motivé les peu de gens formés à venir nous former, à venir lui apprendre. Nous l’avons emmené aux Pays-Bas, parce que la chance nous a fait rencontré une formatrice exemplaire qui nous a montré les bonnes personnes, les bonnes pratiques et aussi appris à savoir fuir les mauvaises ! Il nous a fallu créer une association pour qu’il puisse rester à l’école à mi-temps durant 5 ans. Une association portée par un protocole de recherche qui a fait l’objet de la publication d’un livre écrit par mon père qui, par chance, est chercheur et professeur émérite en Science de l’Education.[1] Franchement sans lui, sans le soutien de la recherche et de la formation des praticiens autour de nous pour Keziah, sans le soutien familial (grands parents, famille proche, amis, collègues), nos paroles de parents auraient finies par être vaines, malgré nos formations des bonnes pratiques, des bons gestes et les résultats quotidiens visibles auprès de Keziah, sur son développement et ses capacités d’autonomie.
Sans ces longues premières luttes sur ce champ de bataille quotidien, Keziah aurait, à peine, dépassé la maternelle dans son ancienne école, dans le département le plus abandonné de la république Française le 93. Oui le 93, le fameux département où les autistes sont encore envoyés en Hôpital de jour dès l’âge de 3 ans en CMP ou CMPP et, de plus, pour ne rien y faire ! Puisqu’ils ne grandissent pas, puisqu’ils n’évoluent pas, alors mettons les en hôpital psychiatrique !!!
Toutes ces luttes, tous ces combats en tentant de continuer a gérer les obstacles de la vie courante dite normale, métro boulot dodo, famille, couple, banquier, taxes, paperasse…
Mais Keziah aussi, tout comme 80% des autistes subit à nouveau une rupture dans son parcours de bon développement adapté, parce que c’est toujours aussi compliqué d’accéder aux bonnes personnes, tout en étant overdosé de la lourdeur administrative qui, au final, n’apporte quasiment rien, ou alors une 1/2 cacahuète sur l’année… et parfois une demi cacahuète tous les deux ans! En tout objectivité, vous la connaissez aussi vous, dans votre quotidien, la lourdeur administrative et les RDV auprès des institutions dans tous vos secteurs de vie et ceux de vos enfants? Multipliez cela par 52 ! Vous râlez parfois d’être dans la tranche qui n’a pas de bol, pas la chance d’avoir accès à tel ou tel truc mis à disposition par l’Etat. Vous la connaissez la musique des administrations qui ne communiquent pas entre elles, du dossier qu’il faut tripler. C’est rageant, c’est chiant hein et vous ne comprenez toujours pas pourquoi c est lent et pas fluide… Multipliez par 52 ! Je dis 52 pour que vous vous imaginiez déjà une lourdeur par semaine toute une vie entière de gestion avec des professionnels, des administrations dans l’impuissance constante, le déni et dans la non volonté à soulager les familles dans l’intérêt d’un humain autiste. Je ne mentionne là que de la lourdeur administrative des innombrables rendez-vous, de la MDPH auxquelles il faut ajouter les errances de recherche des rares professionnels formés pour les diagnostics, les prises en charges, les accompagnements.
Et malgré tout cela, nous les parents, il nous faut continuer à se former, à apprendre à éduquer spécifiquement 24h/24h, pour tenter de palier aux manquements, à l’absence de compétences et de formation des professionnels Inutile d’évoquer les crédits financiers pour éviter les mauvaises pratiques, et la mise à l’écart de la vie d’un enfant, car aujourd’hui, mieux vaut s’adresser aux services privés que publics pour démarrer sur la bonne route.
Et qui peut se le permettre ! Le parent solo, souvent, la mère solo ? Les parents qui ont aussi d’autres enfants à élever ? Tous doivent tenter de maintenir un travail quand ils ne l’ont pas déjà perdu ! Mais on n’abandonne pas malgré l’injustice flagrante qu’une société pas inclusive impose aux enfants, aux adolescents, aux adultes avec autisme.
Je n’irais pas voir « Hors Normes » avant vous — parce que vous êtes probablement notre dernier recours pour qu’enfin l’argent, les financements conséquents soient mis sur la table pour la formation et la généralisation des bonnes pratiques dès demain ! Car nous n’en pouvons plus ! Les Autistes quelque soient leurs profils n’en peuvent plus être sacrifiés et d’attendre encore 20 ans ! Vous serez les derniers citoyens et acteurs à pouvoir aider les familles et associations françaises fatiguées de plus de 40 ans de combat pour la bonne prise en charge des autistes et de leur famille. Nous n’en pouvons plus que l’argent du contribuable ne soit pas utilisé correctement et finalement participe à la dégradation de la vie des autistes, bébé, enfant, adulte… Ce n’est pas normal de devoir justifier tous les ans, avec un dossier de X pages, qu’ils sont autistes. Ce n’est pas normal de devoir compter sur la chance, le hasard ou des réseaux privilégiés à accéder à l’école et aux apprentissages qui aident au développement de vos propres enfants. Ce n’est pas normal de devoir faire appel à des fonds uniquement privés pour recruter un éducateur spécialisé dont 2/ 3 du salaire est à la charge des familles, à une psychomotricienne qui en plus n’est pas remboursée. Ce n’est pas normal d’attendre deux ans pour accéder à une orthophoniste spécialisée qui elle aussi doit gruger parce que la Sécurité sociale n’a toujours pas codifié le Spectre Autistique … ! Si pas de bon code Sécu, pas de mutuelle, pas d’assurance pour les aléas liés… Les textes sont là, les lois existent mais où sont les pratiques ??? Des textes qui sont arrivés grâce aux combats des associations durant des décennies, des textes qui ont dû alerter une Commission Européenne qui à ensuite rappeler à l’ordre la France sur le non-respect de la dignité des personnes atteinte d’Autisme, jusqu’à être qualifiée de prise en charge maltraitante.
Je n’irais pas voir « Hors Normes » avant vous — parce que c’est un ras le bol de savoir que les autistes n’ont toujours pas accès à une fluidité de scolarité et de parcours scolaire adapté, à une reconnaissance de leur différence, à des accès faciles aux divertissements, aux loisirs, et ensuite adultes à un travail ! Les personnes avec autisme attendent toujours d’être inclus et éduqués en tenant compte de leur spectre, comme tout à chacun et dans leur vie au quotidien. On est en 2020 bientôt! C’est vous et votre pression citoyenne, votre pouvoir médiatique, qui aideront à les sortir de leur mauvaise condition d’existence et de reconnaissance. Les personnes TSA ont un vrai cerveau, qui fonctionne, les personnes TSA ont des émotions et ressentent les vôtres. Les Autistes sont différemment mais ils fonctionnent, ils apprennent et ils aiment. Ils savent qui vous êtes !!! Ils ont autant de potentiel que nous tous. Il faut juste leur donner les bonnes clefs et ils vous offriront des trousseaux entiers !
J’irais voir ce film Hors Normes seulement une fois que vous irez TOUS— pour nous redonner la force de continuer à nous battre, nous les parents, les familles, les autistes via les associations durant au moins 10 ans. Et franchement c ´est pas juste pour nos enfants, nos adultes, leurs vies d’en être encore là ! Si vous nous aidez à lutter à travers vos réseaux citoyens médiatiques, journalistes, on ne devra peut être pas attendre 10 ans encore avant que les formations et les bonnes pratiques soient enfin dans la vie quotidienne des enfants et adultes autistes. La littérature et les recherches scientifiques sont là, les bonnes pratiques psycho éducatives, médicales sont connues depuis des décennies, les formations existent !
« Hors Normes » est une œuvre dans laquelle, pour une fois, les rôles d’autistes sont incarnés par des autistes et filmés dans leur spontanéité grâce aussi à leur accompagnant… Voilà pourquoi vous devez allez voir « Hors Normes » avant toutes les personnes concernées par l’autisme. Pour alerter, encore et encore les professionnels, les médias sur l’urgence des bonnes pratiques humaines reconnues par l’Europe, la Haute Autorité de la Santé, l’OMS et que plein d’autres pays appliquent depuis des décennies. Vous devez allez voir « Hors Normes » pour comprendre les défaillances de prise en charge et de non considération, pour ne plus jamais s’étonner ou dire qu’ils restent dans leurs « bulles » (expression que je ne supporte pas, devoir l’écrire me fait frissonner). C’est notre société, notre culture et nos mauvais comportements qui les obligent à ne plus avoir envie de partager ou de comprendre ! Vous devez allez voir « Hors Normes » pour que, vous, acteurs de la République, obligiez les professionnels et administrateurs à se former et appliquer les bonnes pratiques, Vous devez allez voir « Hors Normes », et que l’état ose contrôler et sanctionner enfin les mauvaises ou les absences de pratiques professionnelles adaptées ! Les Humains avec autisme savent apprendre, tout comme vous. Ils apprennent juste différemment. Si vous pouviez mesurer les efforts qu’ils font ! Allez voir le film « Hors Normes », aimez le et ensuite indignez-vous.
Suresnes
Le, 12 novembre 2019
Caroline ALIN
Bénévole associatif
acacianewhorizon@gmail.com
[1] Christian Alin (2019), L’autisme à l’école, le pari de l’éducabilité, (Préface, Philippe Meirieu), Ed. Mardaga : Bruxelles.
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